La loi d’habilitation esquisse le nouveau Code du travail
La loi habilitant le gouvernement à réformer le Code du travail a été adoptée. Ce texte ne donne cependant que le cadre de la réforme et il faut attendre les ordonnances, annoncées pour fin septembre, pour connaître avec certitude le nouveau visage du licenciement, de la négociation collective et de la représentation du personnel.
Sécurisation du licenciement
Référentiel obligatoire en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. - La loi prévoit d’encadrer le montant des indemnités que l’employeur peut être condamné à verser en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse : ce montant devra rester dans les limites d’un « référentiel obligatoire établi notamment en fonction de l’ancienneté », à définir par ordonnance (loi à paraître, art. 3, 1°, b). Le juge n’aura pas à respecter ce référentiel si l'employeur a commis une faute « d'une exceptionnelle gravité » (harcèlement ou discrimination, notamment). Les différents planchers et plafonds déjà prévus par le Code du travail pour sanctionner les autres irrégularités liées à la rupture du contrat de travail devraient également évoluer.
Information sur les règles de procédure. - Une ordonnance est censée « adapter » les règles de procédure et de motivation du licenciement (loi, art. 3, 1°, b). Lors d'une conférence de presse organisée le 28 juillet 2017, le ministère du Travail a cependant indiqué que la réforme devrait se limiter à prévoir la délivrance à l'employeur et au salarié d'un document faisant le point sur le déroulement de la procédure et sur les erreurs à ne pas commettre.
Réduction des délais de contestation. - Le salarié doit contester son licenciement dans les 2 ans (c. trav. art. L. 1471-1). Une ordonnance devrait réduire ce délai de droit commun (loi, art. 3, 1°, d). Elle pourrait aussi réduire certains délais spécifiques, comme celui de 12 mois applicables à la contestation d'un licenciement économique sans plan de sauvegarde de l'emploi (c. trav. art. L. 1235-7).
Mesures spécifiques au licenciement économique
Périmètre d’appréciation du motif économique. - Une ordonnance doit remettre en cause la règle, établie par la jurisprudence, selon laquelle, dans un groupe implanté en France et à l'étranger, le motif économique s’apprécie au niveau du secteur d’activité commun aux entreprises du groupe, en tenant compte, le cas échéant, des entreprises implantées en dehors du territoire national (loi art. 3, 2° ; cass. soc. 5 avril 1995, n° 93-42690, BC V n° 123). Dans la nouvelle définition, seules les entreprises implantées en France ou en Europe (ce point est encore en discussion) seraient prises en considération (rapport AN n° 19, p. 193).
Des garde-fous seront mis en place, pour éviter qu'un groupe mette artificiellement en difficulté une filiale française, à la seule fin de lui faire prendre en charge les suppressions d’emplois.
Obligation de reclassement allégée. - Les propositions de reclassement doivent être écrites et précisent (c. trav. art. L. 1233-4). Une ordonnance devrait alléger cette obligation, en permettant par exemple de diffuser sur l’intranet la liste des emplois disponibles (loi, art. 3, 2° ; rapport AN n° 19, p. 193). Aujourd’hui, une telle mesure est considérée comme insuffisante, car non personnalisée (cass. soc. 26 septembre 2006, n° 05-43841, BC V n° 288).
Par ailleurs, en cas de possibilités de reclassement à l’étranger, l’employeur n’aurait plus à interroger au préalable les salariés pour savoir qui est prêt à s’expatrier (c. trav. art. L. 1233-4-1 et D. 1233-2-1). Ce serait aux personnes intéressées de se manifester (rapport Sénat n° 663, p. 106).
Possible restriction du champ d’application du PSE. - L’employeur doit élaborer un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) lorsque l’effectif s’élève à au moins 50 salariés et que le projet de licenciement concerne au moins 10 salariés en 30 jours (c. trav. art. L. 1233-61). Une ordonnance pourrait relever ces deux seuils (loi, art. 3, 2°).
Sécurisation des « catégories professionnelles ». - Les critères d’ordre des licenciements s’appliquent au sein de chaque catégorie professionnelle. Cette dernière notion étant source de contentieux, une ordonnance devrait préciser que les catégories professionnelles définies par un PSE négocié sont présumées conformes. En cas de PSE élaboré unilatéralement, l’employeur devrait également bénéficier d’un système de sécurisation, qui reste à préciser (loi, art. 3, 2° ; rapport AN n° 19, p. 196).
Fusion des IRP
Fusion de droit des DP, du CE et du CHSCT. - La loi autorise le gouvernement à fusionner les délégués du personnel (DP), le comité d’entreprise (CE) et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) (loi, art. 2, 1°). Le ministère du Travail a présenté les pistes envisagées avec les partenaires sociaux lors d’une conférence de presse organisée le 11 juillet 2017. La réforme fusionnerait les trois institutions représentatives du personnel (IRP) dès 50 salariés, pour constituer un « comité social et économique ». Les entreprises pourraient conserver des IRP séparées, mais celles-ci perdraient alors la personnalité morale, ce qui les priverait notamment du droit d’agir à justice.
Possibilité de fusionner avec le DS. - Dans des conditions à prévoir par ordonnances, les entreprises pourraient intégrer les délégués syndicaux (DS) à l’institution fusionnée. Dénommé « conseil d’entreprise », cette entité aurait alors la capacité de négocier. Cette possibilité nécessiterait un accord d’entreprise majoritaire ou un accord de branche.
Nouvelle hiérarchie des accords collectifs
Abandon du projet de découpage ordre public, légal, supplétif. - La loi Travail avait amorcé un vaste travail de réécriture du Code du travail, de façon à distinguer systématiquement les règles d’ordre public, les règles négociables et les règles applicables en l’absence d’accord collectif (loi 2016-1088 du 8 août 2016, art. 1er et 8 à 11, JO du 9). Le gouvernement actuel n’entend pas poursuivre cette démarche. Il garde cependant l'objectif de développer la négociation d’entreprise, mais sur la base d’un principe assorti d’exceptions.
Primauté des accords d’entreprise sauf exception. - Dans le futur dispositif, l’accord d’entreprise ou d’établissement prévaudra sur l’accord de branche, hormis dans certains domaines, limitativement énumérés, à définir par ordonnance (loi, art. 1er, 1° a). Il y aura :
-d’une part, des domaines obligatoirement réservés à l’accord de branche (verrouillage légal) ;
-et, d’autre part, des domaines dans lesquels l’accord de branche pourra interdire toute adaptation par accord d’entreprise ou d’établissement (verrouillage facultatif).
Selon les travaux parlementaires, on trouverait dans la première catégorie la plupart des domaines aujourd’hui réservés à la branche – minima conventionnels, classifications, égalité, etc. (c. trav. art. L. 2253-3) –, auxquels s’ajouteraient la durée minimale du temps partiel ou encore les conditions de recours au CDI de chantier (voir ci-après). La deuxième catégorie engloberait notamment la prévention des risques et la pénibilité et l’emploi des handicapés (rapport AN n° 19, p. 92).
Clauses spécifiques aux PME. - Dans certains domaines, à définir par ordonnance, l’accord de branche pourra prévoir des dispositions spécifiques aux PME, voire les exclure de son champ d’application, sous réserve de prévoir des contreparties en faveur des salariés (loi, art. 1er, 1° b).
Négociation d’entreprise encouragée et facilitée
Accélération de la mise en place de l’accord majoritaire. - Pour rappel, la loi du 8 août 2016 a programmé la généralisation de l’accord d’entreprise majoritaire (signature par des syndicats majoritaires, avec possibilité de validation par référendum pour un accord signé par des syndicats minoritaires, mais ayant recueilli au moins 30 % des suffrages) (c. trav. art. L. 2232-12).
Schématiquement, ce mécanisme, qui concerne aujourd’hui les accords relatifs à la durée du travail, aux repos et aux congés, devait être étendu à tous les accords collectifs le 1er septembre 2019 (loi 2016-1088 précitée, art. 21-IX). La loi d’habilitation prévoit d’avancer cette date (loi, art. 2°, c). Elle envisage également de modifier « les modalités d’appréciation du caractère majoritaire », sans autre précision.
Négociation facilitée dans les entreprises sans DS. - La loi cherche à faciliter la conclusion d’accords collectifs dans les entreprises dépourvues de délégué syndical (loi, art. 2°, b). Lors d'un point presse du 11 juillet, le ministère du Travail a indiqué que, dans les entreprises de moins de 11 salariés, la réforme privilégierait le référendum. De 11 à 50 salariés, il est plutôt question de faciliter la négociation avec le DP, qui pourrait valablement conclure un accord s’il a le « soutien d’une organisation syndicale » (hypothèse qui se distinguerait du mandatement).
En tout état de cause, le sujet du référendum reste sensible et des évolutions sont possibles.
Mesures diverses
Extension du CDI de chantier. - Il est aujourd’hui possible d’embaucher un salarié en CDI, mais pour la durée d’un chantier. Le contrat prend alors fin au terme du chantier (c. trav. art. L. 1236-8). La loi entend favoriser le recours à ce type de contrat, qui pourrait également être conclu pour la durée d’une opération, dans des conditions à définir par accord de branche (loi art. 3, 3°, c).
Harmonisation des accords de modification du contrat. - Certains accords collectifs ont pour particularité de s’imposer aux salariés, même s’ils sont moins favorables que le contrat de travail : accords de maintien de l’emploi, de préservation ou de développement de l’emploi, d’aménagement du temps de travail, etc. La loi prévoit d’harmoniser ces différents dispositifs (loi, art. 1er, 1°, c).
Dans ce régime unifié, le refus du salarié autoriserait généralement un licenciement sui generis (justifié par le refus du salarié de se plier à l’accord) avec abondement du compte personnel de formation par l’employeur (rapport AN n° 19, p. 96).
Incitation au règlement alternatif des litiges. - Afin d’alléger le contentieux prud’homal, la loi prévoit de modifier les règles de la conciliation. Par ailleurs, elle incitera l’employeur et le salarié à préférer la rupture conventionnelle, la transaction, l’accord devant le conseil de prud’hommes ou toute autre alternative au procès, en jouant sur le régime social et fiscal des sommes versées par l’employeur à l’occasion de la rupture du contrat de travail (loi, art. 3, 4°).
Telles sont les principales mesures programmées par la loi. Les autres aspects de la réforme seront évoqués dans cette revue à l’occasion de la publication des ordonnances.
Source : RF Social